La déportation
Tous serrés les uns contre les autres. Entassés, certains debout. D'autres assis. Et puis d'autres à même le sol. Une odeur infecte, de sueur, d'urine et d'excréments.
Les gens ne peuvent pas faire leurs besoins dans une cabine mise à part. Ils ne sont ni nourris ni abreuvés. L'agitation règne. Tous se demandent ce qu'ils vont devenir : vont-ils être esclaves ou mourir ? Et leurs familles, que vont-elles devenir ? Quel est leur sort ? La mort ou l'esclavage ? Vont-ils réussir à s’en sortir ? Les personnes âgées, les enfants, les femmes, les hommes : que vont-ils devenir ? Certains savent très bien ce qui les attend, d'autres préfèrent fermer les yeux et ne pas savoir.
Dans la peau de Robert.
« Moi c'est Robert Malta, j'ai soixante-treize ans. J'ai la chance, si je peux dire, d'être assis sur des palettes. Cela n'empêche pas que nous sommes tous serrés, agités, : des personnes se laissent mourir au sol, d'autres combattent la mort. J'ai faim, j'ai soif, je suis fatigué comme beaucoup d'autres. Cela doit faire une journée que nous sommes dans ce wagon, je dirais même plus, et nous ne sommes toujours pas nourris ni abreuvés. On ne peut dormir, il y a des cadavres, une odeur infernale, et nous sommes tous collés, on a l'impression qu'on nous broie les os. Il est donc impossible de se reposer. Beaucoup de personnes sont agitées, elles veulent toutes une place assise, mais ici c'est chacun pour soi, contrairement à ce qu'on pourrait croire. Tellement la peur et l'énervement sont présents qu’il n'y a aucune pitié pour les enfants qui sont à même le sol ou debout. Leurs mères ne supportent plus de les porter, elles sont à bout de force. Aucune compréhension. Mais je dois dire que, moi le premier, je ne laisserais ma place.
Quand, d'un coup, une femme à bout de force, son enfant dans les bras, demande à un jeune homme une place assise. (J'apprendrais par la suite leurs noms : Marie Amory et Luc Daki).
« S’il vous plaît Monsieur je n'ai plus la force de porter mon enfant, pourriez-vous me céder la place ? »
Luc ne répond pas.
« Monsieur s'il vous plaît...
- Chacun pour soi, je suis également fatigué, allez emmerder quelqu'un d'autre !
- Mais vous êtes le seul jeune qui n'a pas d'enfant !
- Et donc, sous prétexte que je ne suis pas âgé et que je n'ai pas d'enfant, je dois céder ma place ?! Hors de question.
- Monsieur, s'il vous plaît, je vous le demande encore, laissez-moi votre place s'il vous plaît ! » Marie est à bout de force, elle ne tient presque plus debout.
« Ca suffit ! » Luc se lève et lui met une claque.
Un silence s'installe, personne pour défendre cette jeune femme et sa fille. Luc l’empêche de reprendre la parole, et la pousse.
L'enfant tombe à terre, la mère de même. Des cris de stupéfaction puis plus rien. Personne pour aider la jeune femme et son enfant. L'enfant est sans vie, il est mort. La mère tente de le réanimer en le secouant, mais rien à faire. Elle se laisse donc mourir auprès de son enfant. Ce n'est pas compliqué pour elle, elle est déjà dans un sale état.
« Qu'avez-vous à me regarder comme ça ?! », explose Luc.
Toujours le silence, ils baissent quasiment tous les yeux. Sauf un certain August Prado qui lui tient tête. Ils se fixent un long moment puis plus rien. Luc baisse le regard. Puis la parole de tout le monde reprend, l'angoisse refait surface.
Dans la peau d'August.
Moi c'est August Prado, j'ai 41 ans. Cela doit faire maintenant deux jours que nous sommes dans ce wagon. Et enfin, nous sortons pour être nourris et abreuvés. Cela semble exceptionnel ! Nous avons à peine le temps de manger qu'on remonte dans les wagons, les cadavres ont étés retirés, dont le cadavre de Marie et sa fille. Leurs affaires ont étés prises, mais les excréments sont toujours là. Nous remontons. A la chaîne. Je suis actuellement debout. Le wagon démarre, c'est reparti. Que vais-je faire ? Je ne le sais pas vraiment, je suis entre les deux âges, vieux et jeune.
2 jours plus tard.
Le wagon s’arrête, je suppose que c'est la fin, que notre avenir se joue maintenant. La mort, l'esclavage, ou la fuite. Pour moi ce sera la fuite. Comment faire ?
En sortant du wagon, August, bien que les pieds empêtrés par tant de jours de voyage, se fraye un passage dans le groupe... il court, court ! Il se fait tirer dessus, ralentit mais continue de courir. Il arrive en bordure d'une vaste forêt, il ne sait où il est. Il est libre mais... blessé. Dans sa course, il a fracassé son poignée. Sa main gauche se déchire, comme une feuille, ses os sont brisés, on voit sa chair et ses os : il pousse un cri de douleur, puis se mord le bras pour ne pas se faire repérer à cause de ses propres cris. Il décide de partir pour être le plus loin possible. Ses journées sont longues, il marche dans la souffrance, mange quand il trouve de quoi et boit très rarement.
Ce n'est qu'au bout de trois jours qu'Auguste trouve refuge dans une maison abandonnée. Pendant deux ans, il y vit, c'est toujours compliqué mais il y arrive. Il ne sait ce qu'est devenu le reste du wagon, mais il sait qu'ils étaient destinés à la mort, ou l'esclavage. Et il mesure la chance qu'il a eu.