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Le voyage

Aujourd’hui, on va au parc avec ma famille. Avec mon papounet et ma mamounette. On y va souvent. Le parc du Luxembourg, il est vraiment trop trop beau ! On va fêter mon anniversaire là-bas, mes six ans, c’est dans trente-cinq dodos. C'est presque bientôt.

Aujourd’hui, on fait la balade comme les autres jours. On a notre cache-cache de balade. Quand on voit un gendarme Allemand, on se cache derrière les arbres. Comme les voleurs des bois. Papa, il dit que c’est parce que sinon ils vont nous voler notre étoile. Elle est trop belle ! Comme celles des mers, elle dit, maman. Comme celles du ciel même, j'ai envie de dire.

Mais aujourd’hui, c'est trop bête : on n'a pas vu les gendarmes arriver. On n'a pas eu le temps de se cacher. C'est allé trop vite. C'est pas du jeu. Ils ont triché. Ils voulaient trop gagner. Moi aussi, je voulais trop gagner.

Ils nous ont arrêtés tout de suite. On est allé préparer nos affaires, ils nous ont emmenés jusqu'à l’appartement. Ça les amuse pas trop de jouer avec nous. Ils n’ont pas l’air très gentil. Ils boudent. Ils crient comme les mauvais perdants. Ils n’arrêtent pas de hurler et puis ils donnent des ordres. C'est comme les mauvais joueurs à la récréation.

Je crois qu’on y va là. On part en voyage mais si les mauvais joueurs viennent aussi, ça ne va pas être très rigolo.

« Je crois qu’ils sont énervés!, me dit papa, sois très sage, sinon ça va les énerver encore plus !»

-Quand est-ce qu’on part en voyage ? »

Papa n’a même pas le temps de me répondre, les Allemands nous disent de sortir, toujours aussi énervés d’ailleurs ! En sortant on n'a pas oublié d’embrasser la mezouzah !

En bas de l’immeuble, il y a plusieurs camions déjà remplis, je crois qu’on est les derniers.

C’est la première fois que je pars en voyage : je suis super heureuse !

Dans le camion, c’est bizarre, personne ne parle. Ils n’ont pas l’air heureux de partir en voyage !

Moi, j’ai envie de parler. Maman dit souvent que je suis une sacrée pipelette.

D’un coup, notre voisine super gentille, Salomé, qui me donne tout le temps des fallafels, demande :

  «Quelqu’un sait où on va ? »

 -Bah en voyage bien sûr ! Pourquoi tu crois que tu as pris ta valise ! »

 

Tous les gens du camion se mettent  à rire, d’ailleurs ça énerve les soldats.

« Saperlipopette, ils sont toujours énervés ceux-là ! »

Cette fois personne n’a rigolé, je crois qu’ils ont peur des Allemands.

Le voyage est assez long. Papa me demande souvent si je vais bien et maman a l’air de plus en plus malade, ça fait un petit peu longtemps qu’elle a la grippe.

Soudain, le camion s’arrête. Papa me regarde en souriant et me dit :

« Nous sommes arrivés, Chouchana ! »

Je suis super heureuse mais je me demande quand même où on est. Les Allemands nous guident jusqu’au train. Il est super grand, ce train ! Mais c’est bizarre, on dirait un train pour les animaux.

« Papa, on va pas aller là-dedans ? Ca sent le caca de vache ! En plus, il y a peut être des cochons là-dedans ! Les cochons, c ‘est pas casher papa !»

- Tu as raison mais on ne va pas les manger, ne t’inquiète pas ! Et pour le train, je crois bien que si, mais c’est pour la bonne cause, on part en voyage ! » me dit papa.

Dans le train c’est pire que dans le camion !

Déjà, on est tous serrés et debout, ça sent mauvais et en plus il n’y a aucun bruit. On entend juste le bruit des rails qui grincent. Le pire, c’est qu’il n’y a pas de toilettes ! C’est des boites avec des trous, au milieu d’un wagon…

Du coup, je ne veux pas aller aux toilettes devant tout le monde, donc je préfère me retenir.

Je suis super fatiguée, je crois que je vais dormir dans les bras de papa, mais avec cette chaleur et cette odeur horrible, c’est difficile de dormir !

« Mon chou, réveille-toi, nous sommes arrivés », me dit papa.

 

Je vais vite devant la porte du train car j'ai trop hâte de savoir où on est. Papa et maman m'ont vite rejointe. Les soldats allemands ont ouvert les portes.

C'est incroyable ! On dirait qu’on est en plein cauchemar ! Les gens n'ont pas l'air joyeux, il fait tout noir, il n'y a pas beaucoup de lumière, et il y a un nuage énorme et très noir qui sort d’une énorme cheminée j’ai jamais vu ça !

-« Papa t’as vu l’énorme cheminée ! Je pense qu’ils font cuire des pains de shabbat pour ce soir !

Papa a fixé la cheminée en me caressant la tête, et il a rien dit, trop bizarre !

Les Allemands ont fait descendre tout le monde du train. Et après on a attendu beaucoup de temps.  J'en ai marre ! En plus, c’est la nuit, il fait froid !

« Papa, pourquoi il y a deux groupes ? On dirait qu’il range les gens. »

D'un côté, il y a tous les messieurs et de l’autre côté, il y a des mamans et des enfants, des papis et des mamies et aussi des gens malades comme maman.

« Papa c'est bientôt notre tour, tu penses qu’ on va aller dans quel groupe ? »

« Je crois que le mieux, c'est d’aller à gauche avec tous les messieurs. D’accord Chouchana, à GAUCHE ! »

Papa est très bizarre. On dirait qu’il a peur et qu’il va pleurer.

Un soldat nous dit de nous avancer, c’est enfin notre tour ! J’espère qu’on va aller à gauche ! Le soldat nous a regardés, il a levé le bras vers  la gauche  pour papa et le bras vers  la droite  pour maman et moi.

Et pour la première fois du voyage, papa a pleuré.

Ela et Amelie

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