Le Procès
Aujourd’hui, je prends l’avion. Je m’envole vers New York pour rejoindre Malika (ma fille) et mes petits-enfants (onze, cinq et trois ans). Juste avant d’enregistrer mes bagages, je me dirige vers une cabine téléphonique. J'introduis quelques Deutschemarks dans l’appareil. J'attends que ma fille me réponde.
« Malika ?
- Oui maman ?
- J'ai hâte. Bientôt New York avec toi. Chérie, je suis à l’aéroport. »
*
L’avocat m’a appelée pour me dire de venir au tribunal, assister à un procès. Celui de ma mère. Peut-être celui de toute ma famille. Peut-être celui de toute ma vie.
Maman, qu’est-ce-que tu as fait ?
Au tribunal, assise, j’observe. Des tremblements qui partent du cou, des épaules, glissent dans les bras. Le cœur bat à mille à l'heure. Je te vois, maman, sur le banc des accusés et je ne suis pas la seule. Tout le monde te regarde. Nous voit. Que fais-tu de nous ? Qu’est-ce qui t'amène là ? Tu devrais être avec ma sœur et pas ici. A New York avec Malika. A déguster une glace à la vanille dans Central Park, te moquant de la passion de Malika pour le chocolat. Tu n'aimes pas le noir.
Le juge dit que tu es, maman, accusée d’avoir participé à l'exécution systématique de juifs dans les chambres à gaz. Adultes, vieillards, hommes et femmes, malades, handicapés, adolescents. Des enfants. Maman, des enfants aussi.
Une boule grossit dans mon ventre. Comme si elle grossissait vers ma gorge. Mes yeux piquent comme aspergés avec le sable des camps, la poussière des corps.
Maman, tu es mon modèle, comment as-tu pu faire ça ? Tu étais maîtresse et très proche des enfants, bienveillante, attentive, rigoureuse, préoccupée de leur bien-être, dévouée, passionnée. Je croyais. Comment as-tu pu faire ça ? Dis-le, maman. Dis-le !
Je me souviens que quand on faisait une crise de colère, tu nous expliquais qu’il fallait être calme. Tu nous invitais à lire un livre qu'on aimait ou à préparer un gâteau avec toi.
La boule dans mon ventre est sur le point d'exploser. Elle grossit, grossit. Elle ne se résorbe pas. Grossit. Elle ne se contient pas. Elle ne se limite pas. Grossit. Elle ne se supporte pas elle-même.
Comment, maman, as-tu pu ? Pourquoi n'as-tu pas pensé à nous, même si nous n'étions pas encore nées ? Comment ? Tu es notre mère et tu es notre honte. Notre condamnation. Comment va-t-on vivre avec ce gaz sur la conscience ? Dis-moi, maman. Dis-le !
Pourquoi-as-tu fais ça ? Comment peux-tu rêver le soir ? Comment peux-tu nous regarder dans les yeux ?
Je vois et écoute les témoins expliquer ce qu’il se passait, ça me fait froid dans le dos. Une des témoins avait mon âge à l’époque (22 ans), elle explique comment elle a échappé à la mort ... en s’échappant.
Maman, tu me répugnes, tu es d’une telle monstruosité ! Tu ne pensais pas à l’humain, tu ne pensais qu’à respecter des lois inadmissibles qui n’auraient pas eu le droit d’exister.
J’espère que tu auras un mauvais traitement en prison. Que toutes les personnes que tu as tuées te hanteront jusqu’à la fin de tes jours.
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Le juge la condamne à trente ans d'emprisonnement.
Je continue de pleurer, elle me regarde, je lui envoie un regard haineux.
J’espère ne plus la revoir. Même si elle hantera mes cauchemars.